C'est par l'absence qu'il y aura Présence
- Anaïs Livet
- 7 mai
- 5 min de lecture

Je suis témoin, reçois et accompagne régulièrement des personnes dans une démarche de guérison, thérapeutique, sur un chemin de libération. Des gens en souffrance qui tentent de se décoller des traumas, des pensées, des émotions.
Cette identification ne lâche pas.
D'abord aux événements marquants, puis au besoin de guérison, à la résilience, puis à l'être qui a transformé ses faiblesses en forces.
Je me souviens d'une conversation avec une femme médecin et Yogini.
« -Je marche dans une réalité dont ma conscience même n'a pas conscience, perdue dans un monde d'illusions qui me brise le dos. Je me sens comme Atlas si Atlas était un rêveur. Si Atlas était identifié au rêve.
-Où portes-tu ce poids ?
-A la tombe. A la tombe. J'ai pris moi-même ce cauchemar en charge, de mon propre chef. Comme si c'était mon devoir.
-Alors réveille-toi. La souffrance est l'alarme rappelant que la Vérité est ailleurs. Si tu souffres, tu es dans l’illusion. Tu vis les choses depuis le mauvais niveau de conscience. Réveille-toi. »
Cette conversation a profondément marqué ma vie.
Bien sûr, il ne s'agit pas de tomber dans la pensée extrême Shivaïte ou Védantique, qui peut amener l'ego à se persuader que tout est illusion et que la souffrance n'existe pas. Si vous vous cassez la jambe, c'est bien réel. Si vous sautez du 37ème étage, la mort aussi. Sur un certain plan de conscience, en tout cas, mais ce plan de conscience existe bel et bien.
Ce qui était soulevé, dans cette conversation, était justement le niveau de conscience avec lequel on vit les choses. Au delà des prismes du mental et des projections liées aux impuretés et blocages énergétiques de notre être.
En Yoga, on parlerait de vivre les événements depuis Anahata, le centre du Cœur. Depuis celui-ci, peu importe la situation, tout se vit dans l'amour, la présence, l'abandon à la vie. L'acceptation de ce qui se manifeste, bien différente de la résignation à ce qui se manifeste.
Les émotions, les douleurs, les pensées...traversent comme une vague sur laquelle on ne surf pas, qui disparaît au loin sans qu'on la suive du regard.
C'est par notre absence que peut émerger la Présence.
Par l'absence de l'être, que peut se déployer la Présence de l'Être.
L'absence du petit « je » qui s'identifie à tout ce qui le traverse, le secoue, le marque.
Nous nous identifions à nos expériences de vie, accrochés à nos qualités, nos défauts, nos émotions, nos schémas de pensées, aux événements forts de nos existences. La seule façon pour l'ego d'exister, de s'assurer une individualité. Nous faisons tous nos choix en fonction de ces identifications. Autant que nous pouvons faire un véritable choix depuis un tel niveau d'inconscience.
Lâcher cela est comme nourrir, la vie perd son sens depuis le mental.
Le Yoga invite au dépouillement, il insiste : c'est la seule façon d'être comblé. Ce manque de sens, ce vide existentiel, ce « je ne sais quoi » qui manque même à ceux qui semblent tout avoir... c'est l'appel de l'Absolu, le rappel à la maison, la sonnette d'alarme qui nous demande de sortir de cette croyance en la scission.
La quête aux réponses existentielles mène au delà du mental. C'est pour cela que toute pratique spirituelle accorde tant d'importance à la méditation. C'est au delà du mental, que la Vie dévoile son sens réel.
Bien sûr, les yogis doivent aussi faire attention à ne pas laisser tomber les premières étiquettes pour d'autres. Ne plus s'identifier à un travail, à un nom, à un passé, pour s'identifier à la « vie spirituelle », un nom d'initiation, un quotidien de pratique, à la "destination de l'éveil"... est un autre piège encore plus compliqué à lâcher. Qu'est ce qui en soi veut méditer, pratiquer, être éveillé ? Mais cela vient après.
Ces premiers questionnements existentiels en amènent d'autre : quelles seraient nos vies si on laissait la Vie s'écouler à travers nous, sans vouloir en faire quelque chose de spécial en fonction de notre vécu, de nos identifications ?
On réfléchit, on construit, on fait des plans, on intellectualise... et on tente de trouver un sens au jeu de l'existence à partir de notre mental humain, égotique.
Pourtant ce sens n'est accessible que lorsque le mental se tait, derrière le brouhaha incessant. Dans un espace qui n'en est pas un, dans le temps de suspension qui est au delà du temps, un point virgule posé par l'Absolu, un hiatus ouvrant la porte sur le Néant, l'Informe, l'Ineffable.
L'Absolu se manifeste en courants énergétiques, dansant, en réactions alchimiques entre méridiens cosmiques, et l'être identifié s'attache aux explosions de couleurs et à ces courants qui le traversent, aux réactions spécifiques en lui.
« je suis » s'éloigne du « Je Suis ». La Présence est éclipsée par ce qui ne veut être absent.
La vie égotique écrit son script pour renforcer ses identifications tout en prétendant vouloir s'en débarrasser.
On écrit notre faux Dharma. L'ego prétend être fatigué de lui-même mais fait tout pour se maintenir.
Réfléchissons. A quel point notre vie serait différente sans identification ? Toutes les décisions prises, tous les choix de vies ancrés en lien avec « qui nous croyons être ». Si nous n'avions pas décidé que, coûte que coûte, notre vécu devait avoir un sens, un impact ? Que ce soit en transformant un trauma en une force ou en dorlotant une « faiblesse ».
Le Yoga invite au dépouillement. Notre nom, notre job, notre passé... ne sont rien d'autres que des vêtements à lâcher. L'Être est derrière.
Il invite à vivre, au moins, -déjà!-, depuis le centre du cœur. C'est cet abandon, ce lâcher-prise, qui est la clé. Il n'empêche en rien l'action, mais elle sera une action juste, non une réaction. Il n'empêche en rien le Respect de Soi, mais il sera le respect de l'Essence pure en soi, pas du petit personnage attaché à son rôle et à son cinéma.
Lorsque nous sommes dans le Cœur, pas le cœur humain, mais le Vrai Cœur, lorsque l'ego s'efface, que ses identifications n'ont plus de sens, au centre de soi, on trouve la présence.
Posons nous les questions. Si nous avons été blessé, meurtri, humilié, violé, etc...
En revenant au centre, au calme, dans l'océan cosmique de ce qui Est, une main sur le cœur, demandons-nous : ultimement, qui a subi cela ? Qu'est-ce qui a été terni/brisé/violé/etc... ?
Prenons le temps. Posons nous une question plus simple : Quel est mon nom ? Notre nom humain, de cette vie, n'a pas de sens pour la présence. Quand suis-je né ? Il est impossible d'être dans la Présence et être identifié à quoi que ce soit d'humain, d'égotique.
Il n'y a que Joie, Amour et Paix.
Alors ensuite, demandons-nous ce que la vie essaye de manifester à travers nous, et que nous ne laissons pas faire, tirant sur la bride, résistant à ce qui Est, tentant de tout contrôler et confortant l'illusion de la séparation. Créant la scission afin de survivre en tant qu'être séparé, en tant que « quelqu'un ».
Il n'y a qu'en étant quelqu'un que l'on se condamne à la mort, à l'insignifiance, à la souffrance. On croit se donner vie alors que l'on se coupe de Son flux.
C'est par notre absence, qu'il y aura Présence.
C'est lorsqu'on cessera de vouloir donner un sens mental à notre vie, qu'elle prendra son Sens Réel.
Nous sommes tous, d'une manière ou d'une autre, des Atlas endormis que la Vie tente d'animer d'un souffle pur et libre de tout fardeau. Si nous souffrons, c'est que la Réalité est ailleurs.
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