Si on lit mes articles, ou si l'on me connaît au quotidien, je parle souvent de contrôle. Pas le contrôle des événements, de la vie, mais le contrôle de l'énergie et le contrôle de Soi.
La voie du contrôle, c'est celle d'Ajna, le Troisième Œil.
Dans mon travail, il est important de « contrôler » l'énergie afin de pouvoir la guider et utiliser son potentiel correctement. En yoga et méditation tantriques, on parle de sublimer l'énergie afin de la raffiner et l'utiliser à but spirituel.
Contrôler le mental, l'ego, est crucial, et particulièrement dans nos temps si sombres – on entend souvent parler d'éveil de conscience, mais c'est surtout une forme de fantasme mégalo de notre époque.
Si l'on ne contrôle pas notre mental, c'est lui qui nous contrôle. On subit la vie. On subit nos émotions. On subit les courants énergétiques (gunas) qui nous couchent pendant des jours sur le canapé sans motivation ou qui nous font partir dans tous les sens sans canalisation. Pour vivre libre et en totale responsabilité de qui nous sommes, être Maître de son esprit est une condition sine qua non.
Mais le contrôle n'est pas le but ultime, il n'est qu'une étape primordiale.
Celui qui contrôle, c'est toujours le petit « je » égotique, l'être incarné. Ce n'est pas pour rien qu'Ajna est relié à Manipura, le centre de l'ego.
Il s'agit de la parfaite combinaison à travailler pour reprendre le contrôle de sa vie, atteindre tous ces objectifs, être en capacité de faire tout ce que l'on veut ou doit faire, et expanser son « développement personnel ». Egotique. Travailler Ajna, s'y réfugier, c'est se réfugier dans le pouvoir. C'est développer des capacités psychiques parfois phénoménales. Grimper les échelons du jeu, en devenir un Boss, mais surtout, ne pas en sortir.
Ajna mène à la puissance, avec Manipura, à la puissance personnelle. Tout en offrant, grâce au Troisième Oeil, clairvoyance. Malheureusement, en tant qu'incarné, notre ego reste présent et intrinsèquement mêlé à tout ce que l'on fait, même lorsque l'on croit l’avoir déraciné, et bien souvent, en se réfugiant en Ajna, c'est l'ego, le petit personnage, qui Fait, qui devient puissant, qui a accès à d'autres Vérités, qui Croit Savoir, qui Pense Agir en alignement à la Source. Toute action devient tout à coup divine. Il est facile de se raconter être une simple expression divine alors que les actions viennent, en profondeur, de quelques racines egotiques encore présentes, qui cherchent à se nourrir, à s'apaiser, à survivre.
Ajna, c'est la voie des Hommes qui veulent être Dieu.
Une voie très puissante avec de réels bénéfices et transformations, mais si difficile à lâcher pour ne plus être. C'est la voie de ceux qui pensent pouvoir arriver au Divin par eux-mêmes. Par leurs efforts, leurs actions, leurs pratiques, leurs rituels.
Il n'y a rien de mal à agir, à s'expanser en tant qu'être incarné et multidimensionnel, adoucir et enrichir sa vie de personnage incarné, bien au contraire. Nous ne sommes pas là pour souffrir et jouer les martyres. Mais il ne faut pas oublier que le « je » ne peut rien, et que tout ce qui est acquis, tous ces pouvoirs auxquels on est attaché, tout devra être lâché, abandonné, rendu, pour « rentrer au royaume céleste » (sans la moindre connotation religieuse).
Pourquoi parler du troisième œil, du cœur, et de la couronne alors ?
Parce que c'est en abandonnant le contrôle dans le cœur, que les portes s'ouvrent. Ce n'est pas non plus un hasard, si Anahata (le cœur) et Sahasrara (la couronne) sont liés et que ce premier mène à l'autre.
Lorsque l'on regarde les images de Shiva et Shakti (Kali), que peut-on voir ? Shiva danse sur ce petit être coincé sous son pied. C'est le contrôle de l'ego. Le lâcher prise du mental qui s'abandonne à la conscience divine. Le petit « je » qui laisse la place au Tout, au Je Suis.
Puis en regardant l'image de Shakti, que voit-on ? Cette déesse de l'amour qui tranche toutes les têtes égotiques et les bras qui s'attachent, qui saisissent de quoi s'identifier. Et cette fois c'est elle qui danse sur Shiva abandonné avec amour et confiance totale.
Car la conscience elle aussi, doit lâcher. Lâcher l'idée d'être tout et que tout part d'elle. Pour qu'elle soit « Tout », pour qu'elle soit Unité, elle doit réintégrer la matière, l'énergie, la Shakti. Et il n'y a qu'en s'y abandonnant, qu'en passant par elle que cela est possible.
C'est Shakti qui s'élève et s'unit à Shiva en sa Couronne. C'est Kundalini qui se déploie et revient à l'Unité. Être dans la couronne sans Shakti ne donnera jamais la pleine intégration de l'Unité. Tant que Shiva est persuadé d'être arrivé avant, tant qu'il pense que Shakti découle de lui, il créé une séparation, une dualité. Il ne peut prétendre à l'unité. C'est en intégrant l'un/l'autre, et pour cela, en embrassant toute la manifestation jusque dans ses ombres les plus profondes, que l'Unité est « retrouvée ». Shiva ne peut y aller par le contrôle. Ne peut forcer Shakti, l'essence féminine. Celle-ci n'offrira ce qu'elle est que par amour, dans l'abandon et la sécurité totale. Le contrôle doit se déposer. L'homme qui croit être dieu doit comprendre qu'il n'est rien (et ultimement qu'il est bien plus lorsqu'il n'est plus). Et la conscience doit réintégrer la manifestation, non comme quelque chose qu'elle a créé et contrôle, mais comme l'autre face de ce qu'elle est – bien que « autre » ne soit pas le bon terme, nulle séparation existant. Le langage des Hommes est fait par et pour des êtres identifiés se croyant séparés. Tant que Shiva croit rêver la manifestation, il restera endormi.
Les nuances entre Anahata et Sahasrara sont plus subtiles considérant que les deux sont liés et qu'en Sahasrara, les polarités disparaissent. Le « danger » de la Couronne, serait celui de ce rejet ascétique de toute forme de manifestation, où Shakti ici serait l'ennemi, la tentation, la chose à fuir.
Dire qu'elle n'est qu'illusion et qu'un rêve de Shiva (conscience) est à double tranchant. Cela créé encore une fois une dualité et une hiérarchie.
Sur le plan incarné, la différence se marque et c'est tant mieux. Polarité masculine, polarité féminine. Électricité, magnétisme. Ces différences colorent la vie, créent l'attraction. Mais ultimement, il n'y a aucune différence entre Shiva et Shakti.
Le rôle joué n'est qu'un rôle, l'histoire n'est qu'une histoire. Mais le décor, les acteurs, les coulissent restent réels. La fuite de la matière et la propension à tout étiqueter « illusion » sont dangereuses.
C'est pour cela que le retour à Shakti est primordial, le retour au cœur. Abandon, dévotion, lâcher prise, humilité. S'offrir. Shiva qui s'offre à Shakti. Shakti qui s'offre à Shiva. Dans une égalité parfaite, complémentaire, qui souligne leur opposition polaire sur les plans moins subtiles. C'est Shakti qui mènera Shiva à l'unité, lorsque celui-ci s'abandonnera à elle. Tant qu'il continuera de croire qu'elle n'est qu'une illusion qu'il manifeste en rêve, eh bien il continuera de rêver être Un.
Ceux qui veulent être en dieu doivent lâcher leur volonté d'être, et simplement s'abandonner pour s'offrir, entièrement.
Le Coeur est la porte du Divin.
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