Dans le Tantra (ou plutôt, dans le « neo tantra »), on retrouve toutes sortes de jolis mots.
On entend parler de « sacré » et de « divin ». On dit « lingam » ou « yoni » à la place de « pénis » ou « vagin ». On « reconnaît le divin en l'autre ». On entend souvent parler de « sexualité sacrée », « couple sacré », voire même de « fusion ».
Les mots sont créateurs (et déclencheurs de prise de conscience), et s'il est important de sacraliser certains espaces, important de rappeler aux néophytes ou à ceux qui entrent dans le Tantra par la porte de la sexualité que cela va bien au delà de celle-ci... ce langage utilisé à tort et à travers se retrouve à troubler l'eau dans laquelle le pratiquant nage à la recherche du courant qui lui convient.
Souvent, ceux qui entrent par la porte de la sexualité y restent collés, même s'ils prétendent le contraire, parfois réellement persuadés de leurs dires, persuadés que l'exploration de la sensualité, la sexualité, le rapport à l'autre, le rapport à eux-même, leur fait explorer le Tantra sur un plan spirituel vertical. Dans le meilleur des cas, il y a confusion entre développement personnel et spiritualité. Dans le pire des cas, eh bien, il n'y a pas grand chose.
Cela ne signifie pas que ces personnes stagnent, mais qu'ils explorent, simplement, leur relation au corps, aux autres, à eux, à travers le judas de cette porte, que ce soit pour n'avoir qu'un aperçu de ce qu'est la sexualité tantrique, ou pour patauger dans ses bien malheureuses déviances.
Malheureusement, on peut être témoin d'un véritable pot pourri d'énergies sexuelles qui se mélangent, d'orgies énergétiques, de libertinage débridé, d’hédonisme lâché à toutes brides... sous prétexte que tout cela est fait « en conscience », qu'il faut lâcher les hontes et les tabous. (Là dessus, ils sont fidèles à la tradition qui fait des tantrikas des provocateurs.) Chacun fait ce qu'il veut mais n'appelons pas cela du Tantra, et ne laissons pas les personnes qui recherchent autre chose, parfois plus fragiles, entrer en confiance et en faire les frais.
Plus généralement, il faut comprendre que dans du Tantra authentique, la place de la sexualité est minime et s'ajuste au cas par cas. L'ampleur qu'elle prend dans la pratique en dira plus long sur la personnalité du pratiquant que sur le courant du Tantra lui-même. Un stage sans yoga tantrique traditionnel, sans méditation tantrique traditionnelle, sans étude des textes anciens tantriques (du bouddhisme, Shivaïsme Cachemirien ou autre voie), et sans tout ce qui fait, dans l'essence, du Tantra ce qu'il est : n'est pas un stage de Tantra.
La nudité n'a pas à être présente lors d'un stage de Tantra blanc, et selon la branche du tantra, la sexualité peut tout à fait ne pas être mentionnée. Dans le cas où elle le serait, elle serait étudiée. (« Étudiée » étant un terme clé car il s'agit bien d'apprendre et comprendre en profondeur ce qu'implique la sexualité, individuellement et à plusieurs, énergétiquement, le jeu des polarités, les interactions des corps subtils en fonction des genres, et comment contrôler, harnacher et sublimer cette énergie sexuelle. Il ne s'agit en aucun cas d'aller se frotter les uns aux autres, voir comment on vit les choses, et en tirer des conclusions hasardeuses.)
En bref : on parle beaucoup trop de sexe.
Malheureusement dans notre société, et particulièrement dans ma profession, il faut bien en parler pour élaguer un peu tout ce qui se dit, défaire les sacs de nœuds et éclaircir tout ça.
Voici donc quelques exemples de ce que l'on peut entendre, et je sais par avance que certains vont crier au scandale :
« J'explore la sexualité avec d'autres, pour me découvrir moi-même, ce n'est pas du libertinage ou de l'échangisme, c'est fait en conscience. »
« Je veux aller faire une structure, partager un massage avec cette femme/cet homme parce qu'elle/il m'attire, je suis curieux/se, mais c'est en tout bien tout honneur, sans projection ni attache, et c'est aligné : je reconnais le divin en elle/lui. »
« On pourrait échanger un massage pour aller à la rencontre de l'autre, voir ce qu'on y vit et ce qu'on découvre sur nous-même... »
« J'ai besoin de ces échanges sensuels, sans attente, sans rien derrière, cela me permet d'aller à ma rencontre, me découvrir, me nourrir d'amour pour moi et les autres... si cela dérange mon/ma partenaire, c'est à lui/elle de travailler sur ses blessures. »
Bien souvent, tous ces discours sont vides. Vides de sens et pire, vides de vérité.
Il n'y a que Svadhistana (chakra sexuel) qui guide ces actes et ces discours, et qui est très doué pour faire passer une attirance ou satisfaction sexuelle pour de l'amour. Bien sûr, il n'y a rien de mal à partager un bon massage avec quelqu'un, ou prendre du plaisir dans une structure avec quelqu'un qui nous attire. Mais soyons lucides sur ce qu'il se passe, sur ce qui nous motive, et sur ce que cela vient nourrir.
Oui, il y a aussi des exceptions, mais bien souvent, il y a peu de conscience dans ce genre d'échanges. Ou une conscience superficielle. Et il n'y a aucune réelle reconnaissance du divin, du moment sacré, même si certains en sont parfois persuadés.
Celui qui va masser peut vouloir prendre, -d'ailleurs, le massage peut finir en « échange »-, ou alors retirer la satisfaction d'avoir donné du plaisir, d'avoir réveillé l'envie, ou d'avoir servi de canal à une libération. Il y a souvent un fond intéressé.
Pire encore, il n'y a bien souvent aucune compréhension de ce qu’implique le toucher du corps, le toucher de la yoni, ou du lingam.
En faisant de jolies phrases, pour parler de nos corps et de nos organes sexuels, on peut perdre tout contact avec la réalité.
« Marie, je sais que tu as des difficultés à ressentir l'intérieur de ton temple sacré, ta yoni, peut-être devrais tu te faire masser, en conscience. Si tu veux je me mets à ton service, le temps d'un massage, ce sera juste à propos de Toi. »
Traduction : « Marie, je sais que tu as de multiples traumas stockés dans ton vagin, parce que tu as été abusée, ou violée. Est-ce que je peux y mettre mes doigts ? Soit parce que je veux te pénétrer, soit parce que je suis un « sauveur ». Et puis après, ne nous attachons pas, on fera comme si de rien n'était. »
Je pousse un peu la caricature ? Pas tant que ça. Ces phrases là, je les ai toutes entendues, et bien d'autres.
Changeons les mots, un peu. Personne n'aborde un vagin ou un pénis de la même manière qu'elle aborde une yoni ou un lingam. Mais ces mots dérangent, viennent soulever des tabous, et si nombre de tantrikas se vantent de les faire sauter par leurs pratiques, justifient même de pousser les expériences pour aller « déloger ce qui les dérange », « purifier l'ego » eh bien, croyez bien que leurs langues butent sur ces termes, sur leur réalité, sur l'implication de ce qu'ils peuvent vraiment déclencher et créer.
Le corps porte ses mémoires, partout, sur lui, en lui. Nos sexes aussi. Un lingam n'est pas le « membre sacré de Shiva » à cajoler pour l'ériger. Une yoni n'est pas la « caverne de Shakti à stimuler jusqu'à faire couler sa cascade ».
Redescendons un peu sur terre.
Le corps est sacré, nous sommes des êtres divins, oui. La conscience doit être réelle, découler de cette phrase... pour y revenir.
On ne traite pas quelqu'un, homme ou femme, avec amour et conscience simplement parce qu'on lui dit de jolis mots, lui tient la main, et le/la regarde dans les yeux. On ne fusionne pas et n'entre pas dans l'amour inconditionnel parce qu'on vit un moment très fort, une belle alchimie, que le chakra cœur est un peu stimulé et qu'on ne sait juste pas dans quelle catégorie placer ça.
L'amour inconditionnel n'a rien à voir avec un beau moment intime dont on veut profiter sans gérer les complications émotionnelles, attachements et autres après coup.
L'amour inconditionnel est éternel, un « choix » de l'âme, une reconnexion au Cœur même de la Source, à l'essence de tous nos êtres. Il ne se vit pas sur 3 jours, il n'est pas une bouffée de joie, et il n'est, par définition, pas conditionné par l'identité de la personne pour qui on l'éprouve, ses parts d'ombre, son passé, son avenir. Aimez-vous entièrement, profondément, inconditionnellement, à travers le temps et l'espace, peu importe ce qu'elle a fait ou fera dans sa vie, la personne avec qui vous partagez cet instant « tantrique » ? Si cette personne se lève brusquement et vous passe à tabac, l'aimez-vous toujours de ce même amour ? (Pas que je cautionne le comportement.)
Bien souvent, déjà, cet amour n'est pas présent avec le partenaire, la famille, les amis, alors avec quelqu'un que l'on rencontre en coup de vent...
Dans le cas où des individus ont une réelle sexualité consciente, relation consciente, ça n'en fait pas une sexualité sacrée, ni un couple sacré pour autant.
Là aussi, on utilise des termes à tort et à travers. Énergétiquement, en terme de plans et de fréquences, le couple sacré n'a rien à voir avec une relation, consciente ou non. La sexualité sacrée n'existe pas juste parce qu'elle est intense et consciente, même entre deux tantrikas avancés.
Avoir une réelle sexualité tantrique n'en fait pas une sexualité sacrée.
Être dans un couple tantrique n'en fait pas un couple sacré.
La « fusion » qu'on cite aussi n'importe comment n'a rien à voir avec le mélange des énergies sexuelles ou praniques, ni avec une connexion de cœur à cœur d'un instant. Pas plus qu'il n'existe de « dé-fusion », pas réellement.
Qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit. Un couple « ouvert » dans un réel but spirituel est possible. Une sexualité « consciente », « aimante » (anahata), « cathartique », « spirituelle » est possible, même en dehors du couple.
Mais il s'agit de cas rares qui impliquent un alignement extrême, des corps énergétiques très purifiés et et une avancée spirituelle importante. Et même dans un tel cas, ce genre de fonctionnement reste un choix d'expérimentation difficile qui n'est ni une preuve de spiritualité supérieure, ni une preuve de son contraire.
Chacun est libre de vivre ce qu'il souhaite vivre dans le respect de tous.
Mais il s'agit d'assumer ses choix, sa démarche, poser une réelle « conscience » sur ce qu'on fait ou ne fait pas, arrêter de prétendre d'autres choses et embrouiller ceux qui ont une recherche différente et ne savent plus où aller.
J'ai vu nombre de femmes et d'hommes être déçus des dérives du tantra, de ce fond de caniveau orgiaque, de ces simples hugs dénués d'amour parce que le sacré, l'amour, l'accueil sont requis, quémandés, forcés, et n'ont plus rien de naturel. Ils n’éclosent plus, ne se présentent plus, ne se découvrent plus, ils sont simulés jusqu'à ce qu'ils soient vécus, éventuellement : et lorsqu'on commence à croire à nos propres prétentions, on s'éloigne bien souvent du chemin qui nous permettrait cette réelle expérience.
Il est de la responsabilité de chacun d'être honnête sur qu'il est, ce qu'il offre, recherche, vit, et cela est d'autant plus vrai pour les animateurs de stages, les enseignants, et secondairement, les masseurs.
(Et je n'aborderai pas ici les conséquences chaotiques de l'absence de compréhension et contrôle énergétique par les encadrants qui soit, n'abordent pas le sujet, soit, jouent avec le feu en encourageant les émulsions et la stimulation des sens subtils sans comprendre ce qui se créé et son effet domino.)
Alors, peut-être, oublions les jolis mots un instant, et replaçons les choses dans leurs contextes réels. Nous sommes des hommes et des femmes avec nos vécus, nos corps, nos blessures, nos aspirations. Ne prétendons pas voir le divin en l'autre tant que ce n'est pas le cas, allons sincèrement à sa recherche et ne dupons plus personne.
Lorsque, vraiment, nous rencontrons Dieu à travers l'autre, nous en sommes changés à jamais.
Certains sortent la carte de la non dualité pour faire passer tous ces comportements, la carte du non jugement, ou d'une pseudo voie du milieu. Si ce genre de comportement vient nous chercher, nous déclencher, n'y a-t-il pas une blessure à guérir ? N'est-ce pas « parfait » parce qu'exactement ce qu'il fallait pour révéler un point sur lequel il y a à lâcher ? Exprimer ce que je viens d'écrire, n'est-ce pas être dans le rejet, dans le jugement, dans la séparation et dans la manifestation de la dualité ?
Eh bien tout d'abord, la Voie du Milieu est honnête et ne revêt pas de masques, d’apparences, de faux discours qui ne résonnent pas. La voie du milieu implique un équilibre sain et une grande droiture, une rectitude. Elle implique d'être capable d'aller à travers les ombres et la lumière sans se perdre, marcher en funambule et explorer avec justesse sans basculer, sans être atteint par le gris des zones explorées. Elles ne déteignent pas sur celui qui marche sur la voie du milieu car sa force mentale, ses valeurs, son éthique le guident. Ses choix sont comme ceux d'Arjuna après que Krishna lui rappelle qui Il Est : éclairés par la non dualité malgré leur apparence duelle humaine.
Oui il est possible d'explorer la sensualité, la sexualité, les corps, l'énergie sexuelle, voire même une forme d'érotisme sans faire n'importe quoi...si cela est fait avec Justesse, conscience aiguisée, dans un but de guérison ou de spiritualité, avec un encadrement extrême par des individus avancés qui connaissent et comprennent les lois énergétiques de l'univers, le karma, le sacré. Autant dire que ce genre de rituel de Tantra rouge ne peut se vivre à tous les coins de rues (ou stages).
Transcender la dualité ne signifie pas l'ignorer ou ne pas en reconnaître la manifestation (la manifestation est duelle par essence). L'acceptation que tout est divin ne nous empêche pas de faire preuve de discernement et de reconnaître ce qui relève de la spiritualité authentique et ce qui relève de ses déviances, déformations, ses recueils de projections égotiques et personnelles, voire névroses sexuelles.
Naviguer dans les eaux troubles, expérimenter, peut faire partie du chemin, tout est juste...
Comprenez-moi bien, embrasser une voie néo tantrique et faire le choix d'explorer la sexualité, ou le développement personnel, ou mélanger un peu de tout, est un choix juste si c'est un choix conscient en accord avec la personne et ce dont elle a besoin profondément. Chacun doit suivre ce qui résonne en lui.
Ce qui est dérangeant, dommage et dangereux c'est ce décrochage avec la réalité, cette absence de compréhension, réalisation profonde de ce qui se produit à chaque action, chaque échange, dans les sphères énergétique, spirituelle, corporelle, émotionnelle et psychique. Ce sont les couleurs qui ne sont pas annoncées, et les discours trompeurs. Ce qui est d'autant plus grave que cela finit par toucher le plus intime, le plus profond, le cœur de l'être, le cœur du sexe : des dégâts qui se rajoutent aux mêmes sphères que l'on était venu guérir, entrant sans difficulté par la porte des vulnérabilités, tenues grandes ouvertes par des individus confiant dans le processus.
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